« La sous-traitance est une opération par laquelle une personne (le donneur d’ordre) confie à une autre (le sous-traitant), sous sa responsabilité, l’exécution de tout ou partie d’un contrat d’entreprise ».
Le délit d’exercice illégal de la profession
Dans un contexte de fortes mutations et d’intensification du paysage concurrentiel, le recours à la sous-traitance dans la profession ne relève plus de cas isolés ; et cette pratique n’est pas sans risque. Il convient de rappeler, s’il en était besoin, que l’expertise comptable est une profession réglementée par l’Ordonnance de 1945. Comme le prévoit l’article 2 de cette Ordonnance, certaines activités ou missions relèvent de la compétence exclusive des experts-comptables inscrits à l’Ordre.
Elles ne peuvent donc être exercées par une per- sonne non inscrite, sous peine de délit d’exercice illégal de la profession comptable. Le délit d’exercice illégal de la profession comptable est prévue par l’article 20 de l’Ordonnance susmentionnée, et il est caractérisé par l’interdiction faite à toute personne non inscrite à l’Ordre, d’effectuer de manière habituelle, en son nom propre et sous sa responsabilité, des travaux comptables.
L’extension du délit à la sous-traitance
Alors même que les termes de l’article 20 visent expressément les travaux comptables exécutés au nom propre et sous la responsabilité du contrevenant, la chambre criminelle de la Cour de cassation1 a considéré que cet article devait également s’appliquer aux travaux comptables exécutés pour le compte d’un expert-comptable inscrit, sous le contrôle et la responsabilité de celui-ci. Autrement dit, l’article 20 doit être interprété comme interdisant aussi à tout cabinet d’expertise comptable inscrit à l’Ordre de sous-traiter, à un non expert-comptable, des activités relevant de son monopole.
Au cas particulier de la décision précitée, la Cour de cassation a retenu la condamnation d’un cabinet d’expertise comptable pour complicité d’exercice illégal. Ce cabinet avait en effet confié à un prestataire sous-traitant, non expert-comptable, la réalisation des travaux de saisie de comptabilité et d’établissement des déclarations fiscales. Considérant que ces activités relevaient du monopole des experts-comptables, les Hauts magistrats ont jugé qu’elles ne pouvaient être sous-traitées à une personne extérieure à la profession.
Les Hauts magistrats ont également relevé que le cabinet d’expertise comptable, donneur d’ordre, n’avait délégué aucun expert-comptable auprès de la société sous-traitante, et ce même occasionnellement, afin de s’assurer du respect des dispositions légales encadrant l’exercice de la profession d’expert-comptable.
Un monopole justifié par l’intérêt général
En février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation2 s’était déjà prononcée par l’intermédiaire d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), pour atteinte à la liberté d’entreprendre, protégée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Concrètement, il s’agissait de savoir si l’interdiction du recours par les experts-comptables à des sous-traitants non-inscrits au tableau de l’Ordre des experts-comptables, pour l’exécution de travaux comptables, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ?
Retenant que le monopole des experts-comptables est justifié par l’intérêt général, les Hauts magistrats – après avoir relevé que l'interdiction faite aux experts-comptables, « dont l'exercice de la profession est protégé », de sous-traiter des opérations comptables à des tiers non-inscrits au tableau de l’Ordre, est « une conséquence nécessaire de la réglementation de leur activité » – jugent l’atteinte proportionnée à la liberté d'entreprendre.
Le périmètre des activités réservées
On notera la fluctuation des décisions de la Cour de cassation quant à la définition des activités relevant du monopole des experts-comptables. Dans sa décision du 4 octobre dernier, la Cour de cassation y intègre notamment la saisie comptable. Cela ne va pas de soi dans la mesure où cette tâche, et plus généralement celle de la tenue comptable, n’est pas toujours considérée comme une activité réservée à l’expert-comptable ; comme l’illustre une décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation3 rendue en juin 2014.
1. Cass. Crim. n° 21-85.594 ; 4 octobre 2022
2. Cass. Crim. n° 22 février 2022 ; 21-85.594, Inédit
3. Cass. Com. n° 619 F-P+B